Sortir du mondialisme : l’exemple de l’Argentine

Argentina flag with Cerro Tolosa Mountain in Cordillera de Los Andes - Mendoza Province, Argentina
Argentina flag with Cerro Tolosa Mountain in Cordillera de Los Andes - Mendoza Province, Argentina

L’Argentine offre un cas d’étude fascinant sur les possibilités et les défis liés à la sortie du mondialisme. Ce pays sud-américain, autrefois considéré comme l’un des plus prospères au monde, a connu des hauts et des bas économiques spectaculaires au cours du siècle dernier. Son parcours illustre les tensions entre intégration mondiale et souveraineté nationale, ainsi que les difficultés à trouver un équilibre durable.

Les racines historiques du mondialisme en Argentine

L’Argentine est née d’une forme précoce de mondialisation – la colonisation espagnole des Amériques. Dès sa fondation, le pays a été profondément intégré dans les échanges mondiaux, principalement comme exportateur de matières premières agricoles.

L’âge d’or de l’ouverture économique

Entre 1880 et 1930, l’Argentine a connu une période de forte croissance basée sur les exportations agricoles et l’afflux massif d’immigrants européens. Le pays était alors pleinement inséré dans la mondialisation de l’époque, dominée par l’Empire britannique. Buenos Aires rivalisait avec les grandes capitales européennes en termes de richesse et de sophistication culturelle.

Le tournant nationaliste du péronisme

La Grande Dépression des années 1930 a marqué un tournant. L’arrivée au pouvoir de Juan Perón en 1946 a inauguré une période de repli économique et de nationalisme. Le péronisme a mis l’accent sur l’industrialisation par substitution aux importations et le développement du marché intérieur, au détriment des liens avec l’économie mondiale.

Les cycles d’ouverture et de fermeture économique

Depuis les années 1950, l’Argentine a alterné entre des phases d’ouverture et de fermeture économique, reflétant les débats internes sur la meilleure voie de développement.

L’expérience néolibérale des années 1990

Sous la présidence de Carlos Menem (1989-1999), l’Argentine a adopté des politiques néolibérales radicales : privatisations massives, ouverture commerciale, alignement du peso sur le dollar. Cette période a vu une croissance économique rapide mais aussi une montée des inégalités et de la dette extérieure.

La crise de 2001 et le virage anti-mondialiste

La crise économique catastrophique de 2001-2002 a profondément marqué la société argentine. Le pays a fait défaut sur sa dette extérieure et a rompu la parité peso-dollar. Cette expérience traumatisante a renforcé les courants politiques hostiles au néolibéralisme et à la mondialisation.

Les défis de l’insertion internationale de l’Argentine

L’Argentine fait face à plusieurs dilemmes dans sa relation avec l’économie mondiale :

La dépendance aux exportations de matières premières

Le pays reste fortement dépendant de ses exportations agricoles, notamment le soja. Cette spécialisation le rend vulnérable aux fluctuations des cours mondiaux et limite ses perspectives de développement industriel.

La question de la dette extérieure

La dette extérieure demeure un problème chronique, limitant la marge de manœuvre économique du pays. Les conflits récurrents avec les créanciers internationaux, notamment les « fonds vautours », illustrent les tensions entre souveraineté nationale et contraintes financières mondiales.

L’intégration régionale : le Mercosur

L’Argentine est membre fondateur du Mercosur, union douanière sud-américaine. Cette intégration régionale offre des opportunités économiques mais soulève aussi des débats sur la perte d’autonomie nationale.

Les alternatives au mondialisme néolibéral

Face aux limites du modèle néolibéral, différentes voies ont été explorées pour redéfinir l’insertion internationale de l’Argentine :

Le néo-développementalisme des Kirchner

Les présidences de Néstor et Cristina Kirchner (2003-2015) ont tenté de combiner croissance économique, redistribution sociale et affirmation de la souveraineté nationale. Cette approche a permis une reprise après la crise de 2001 mais s’est heurtée à des limites, notamment l’inflation chronique.

La recherche de nouveaux partenariats internationaux

L’Argentine a cherché à diversifier ses relations internationales, notamment en se rapprochant de la Chine et de la Russie. Ces nouveaux partenariats offrent des opportunités économiques mais soulèvent aussi des questions géopolitiques.

L’expérience Milei : un ultralibéralisme anti-mondialiste ?

L’élection en 2023 de Javier Milei à la présidence marque une nouvelle étape dans le rapport complexe de l’Argentine à la mondialisation.

Un programme économique radical

Milei propose des mesures ultralibérales comme la dollarisation de l’économie et la suppression de la banque centrale. Paradoxalement, ces politiques visent à réduire l’influence des institutions financières internationales sur l’Argentine.

Une rhétorique anti-establishment mondial

Le discours de Milei combine critique du « mondialisme » et rejet des élites politiques traditionnelles. Cette posture illustre l’émergence de nouvelles formes de contestation de la mondialisation, distinctes des approches de gauche classiques.

Les leçons de l’expérience argentine

Le cas argentin offre plusieurs enseignements sur les possibilités et les limites d’une sortie du mondialisme :

L’importance des institutions nationales

La capacité à gérer les chocs externes et à définir une stratégie de développement cohérente dépend largement de la qualité des institutions nationales. L’instabilité politique chronique de l’Argentine a souvent sapé ses efforts de développement autonome.

Les limites de l’autarcie

Les tentatives de repli économique total se sont généralement soldées par des échecs. L’enjeu semble plutôt de trouver un équilibre entre ouverture internationale et protection des intérêts nationaux.

La nécessité d’une stratégie de long terme

Les changements fréquents de cap économique ont nui à la crédibilité et à la stabilité de l’Argentine. Une vision de développement cohérente sur le long terme apparaît cruciale pour sortir des cycles de crise.

Perspectives pour l’avenir

L’avenir de l’Argentine dans le système mondial reste incertain. Plusieurs scénarios sont envisageables :

Une intégration régionale approfondie

Le renforcement du Mercosur et des liens avec les pays voisins pourrait offrir une voie médiane entre isolement et mondialisation débridée.

Un nouveau modèle de développement national

L’Argentine pourrait chercher à développer des secteurs à forte valeur ajoutée, comme les technologies ou les énergies renouvelables, pour réduire sa dépendance aux matières premières.

Une redéfinition des relations Nord-Sud

En tant que pays du « Sud global », l’Argentine pourrait jouer un rôle dans la refonte des institutions économiques mondiales pour les rendre plus équitables.

L’expérience argentine montre qu’il n’existe pas de solution miracle pour « sortir du mondialisme ». Le défi consiste plutôt à trouver un équilibre dynamique entre intégration internationale et autonomie nationale, adapté aux spécificités du pays. Cette quête d’équilibre reste au cœur des débats politiques et économiques en Argentine, comme dans de nombreux autres pays confrontés aux défis de la mondialisation.

Citations:
[1] https://www.senat.fr/rap/r10-761/r10-761_mono.html
[2] https://theses.hal.science/tel-00203388/file/hdr2.pdf
[3] https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_2004_num_113_638_21635
[4] https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2011-v42-n1-ei4064/045879ar/
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_de_l%27Argentine
[6] https://legrandcontinent.eu/fr/2022/11/24/dompter-le-golem-du-mondialisme/
[7] https://lelephant-larevue.fr/thematiques/histoire/argentine-7-moments-qui-ont-contribue-a-faconner/
[8] https://journals.openedition.org/cal/7032?lang=en
[9] https://www.latribune.fr/economie/international/argentine-l-ultraliberal-et-anti-systeme-javier-milei-remporte-la-presidentielle-et-prepare-une-therapie-de-choc-983645.html

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